Stéphanie Martin nous livre son témoignage et nous explique comment le recours aux jeux vidéo est un moyen d’aider les adolescents en difficulté.
Assistante sociale de formation, Stéphanie Martin exerce en hôpital psychiatrique pour enfants et adolescents. En parallèle, elle a créé « P@rlons-en », une entreprise spécialisée dans la prévention à la Santé face aux écrans et jeux vidéo dans le Département de Loire-Atlantique. « P@rlons-en » est Ambassadeur PédaGoJeux.
Elle livre ses conseils pour prévenir les éventuelles dérives et aborder les jeux vidéo sereinement avec ses enfants.
Dans le cadre de mon activité en hôpital, comme lors de mes interventions et conférences au sein des écoles, collèges, lycées, centres de loisirs ou mairies, je rencontre régulièrement des enfants et des adolescents, dont les fragilités psychologiques inhérentes à ces périodes de vie les ont amenés à dériver vers l’isolement, le renfermement sur soi, l’incompréhension des adultes (en premier lieu celle de leurs parents ou enseignants).
La place qu’ils accordent aux écrans n’est, pour la plupart, pas plus importante que pour tout enfant ou adolescent de cette génération « multi-connectée ». Pourtant, lorsque le mal-être devient trop douloureux, ces univers imaginaires leur permettent d’échapper à une réalité parfois triste et blessante.
Les principales préoccupations de l’entourage et du monde médical à ces moments, sont le temps passé sur ces médias, l’impact de la violence de certains jeux, les conséquences sur la santé d’un temps de jeu trop important. Pour sortir de ces préoccupations angoissantes, j’aime aborder les choses sous d’autres angles : l’adolescent a-t-il abandonné ses autres activités pour se consacrer entièrement aux jeux vidéo ? Quel est son quotidien ? Quel personnage a-t-il choisi d’incarner ? Pourquoi ce choix ?
C’est alors que l’adulte s’ouvre à une toute autre réflexion…
À quel moment doit-on s’inquiéter ?
Dans ma génération de trentenaires / quarantenaires, jeunes parents d’enfants ou d’adolescents, nous avons en grande majorité joué à des Mario, Sonic et autres personnages types. À ma connaissance, cela n’a pas décuplé ma vitesse en voiture, ni provoqué des vocations de plombier chez mes camarades !
Plus sérieusement, il faut être vigilant sur l’impact des jeux sur les enfants en interrogeant ces critères concrets :
- son état émotionnel du moment (triste, renfermé, inquiet, nerveux, tendance à l’impulsivité)
- les événements récents (échec scolaire, perte de réseau amical, situation familiale compliquée parents en cours de séparation par exemple, problèmes financiers…)
- la diminution des sorties, de la fréquentation du réseau social et amical, l’arrêt de sport…
- l’augmentation des sessions de jeux nocturnes et donc la diminution du temps de sommeil…
… tout ceci dans le but de passer davantage de temps sur les jeux vidéo ou plus généralement devant les écrans.
Lorsque plusieurs critères sont présents chez un enfant, et en particulier, la diminution des sorties, le sport, les repas familiaux, il est nécessaire de prendre les choses au sérieux. Il peut être également important de se faire accompagner afin de favoriser le discours d’un tiers validant celui du parent (il est plus facile de croire un autre adulte que sa mère ou son père !).
La violence supposée des jeux vidéo est une des préoccupations majeures des parents. Sujet bien délicat et particulièrement médiatisé à chaque évènement dramatique impliquant un adolescent, il est bien complexe de définir le lien de cause à effet. Qui est de l’œuf ou de la poule en quelque sorte. Il est dans ce contexte important de prendre en compte la classification PEGI qui est en premier lieu un bon indicateur du contenu des jeux. PEGI indique l’âge conseillé en fonction des contenus sensibles présents dans le jeu. Mais, LES critères fondamentaux que je conseille de prendre en compte sont avant tout la maturité de votre enfant, sa personnalité et ses traits de caractère. Est-il impulsif ? Naïf ? Influençable ? Souffre-t-il déjà de fragilité psychologique ? Est-il fasciné par les sujets de violence, de guerre ? Ces différents critères doivent amener une vigilance particulière de l’adulte.
En cas de difficultés, n’hésitez pas à en parler à votre médecin traitant, à solliciter les lieux identifiés comme ressource pour votre enfant (coach sportif, animateur de centre socio-culturel, Maison Départementale des Adolescents, infirmier scolaire, assistant social scolaire etc.) ou à consulter des spécialistes si cela vous semble insurmontable ou déjà trop installé (pédopsychiatres, psychologues, éducateurs spécialisés etc.).
Les jeux vidéo dans les soins aux enfants et adolescents
Dans le cadre de mon activité, j’ai pu utiliser certains jeux vidéo avec des adolescents souffrant de pathologies très diverses. Inspirée dans ce processus par divers professionnels et inspirée par les méthodes telles que celles de Mickael STORA et de Serge TISSERON, je m’intéresse aux possibilités de certains jeux pour proposer de nouvelles approches dans les soins psychologiques et psychiatriques.
J’ai ainsi pu participer à la mise en place d’un atelier de groupe thérapeutique utilisant un jeu de simulation de vie (SIM’S) afin d’accompagner des adolescents en difficultés relationnelles, ayant des défaillances dans l’intégration de leur corps, des difficultés avec leur image etc.
Ainsi, il a été possible via un personnage virtuel de travailler l’estime de soi chez un jeune garçon entrant très peu en relation avec son psychologue référent. Nous avons pu travailler avec lui la perception de son corps. Lui qui était frêle, « passe partout » comme il disait, mettait en scène un bodybuilder bronzé à l’égo surdimensionné, goujat avec la gente féminine. À travers ce personnage, nous avons pu travailler avec le groupe sur les relations filles / garçons, l’importance du regard des autres, les codes physiques auxquels ils tentent actuellement de ressembler. Cela a été de même avec un autre groupe de jeunes filles, toutes trois en décalage avec les jeunes de leurs âges. Elles mettaient en action des pin-up aux « atouts » fessiers et poitrine inaccessibles !
Parler de soi via un tiers virtuel, comme un avatar dans un jeu, est très révélateur de cette adhésion à l’image renvoyée et l’image que l’on pense incarner. L’enfant ou l’adolescent est libre d’imaginer son idéal, ou son inverse, une sorte de « souffre-douleur ». Cela a été le cas avec une adolescente qui noyait son personnage régulièrement, ne l’entretenait pas sur le plan de l’alimentation ou de l’hygiène et s’amusait des effets induits sur les autres personnages – ils la fuyaient puisqu’elle n’était pas soignée, n’avait pas d’amis et souffrait de cette solitude. Il fût ainsi possible d’aborder la question des soins corporels avec cette adolescente réfractaire à l’adulte « qui ne comprend rien ». Il y a eu aussi le cas d’une jeune fille qui, souffrant de troubles alimentaires, jouait avec le poids et l’allure de son personnage pendant toute la phase de création. Parler de soi en parlant « d’un autre » est beaucoup moins intrusif et facilite le travail des équipes médicales.
Dans un autre cadre de soins, j’ai accompagné un jeune garçon déscolarisé, fasciné par le monde des M.M.O.R.P.G (un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur). Il sortait très peu de chez lui et n’avait pas de réseau amical. Mais, en entrant dans SON « monde », ou du moins celui de son personnage virtuel, j’ai rencontré un jeune homme passionné, respecté par sa communauté de Gamers, entretenant une relation virtuelle de longue date avec une jeune fille qui « au moins, n’attendait rien de lui ». Son personnage était un soigneur adulé, disponible et à l’écoute de son clan.
Une fois cette frontière de l’adulte critique « qui n’y comprend rien » dépassée, nous avons pu petit à petit nous décaler de l’écran pour, côte à côte (pas face à face) parler de lui, de l’avenir, et non plus seulement du jeu. Nous avons pu programmer des sorties autour de ses centres d’intérêt, à l’extérieur, dans le monde réel. Il a ensuite pu réintégrer ses entretiens avec son pédopsychiatre et reprendre le dialogue avec ses parents.
En lien avec une institutrice spécialisée, nous avons réfléchi à l’utilisation d’applications particulières sur tablette et téléphone afin de pouvoir travailler avec des enfants plus jeunes présentant des troubles autistiques et ne rentrant pas ou peu en communication avec les autres. Nous avons également travaillé autour de l’utilisation de console mettant en scène physiquement le joueur pour accompagner l’intégration du schéma corporel dans des jeux de danse, d’aventure ou demandant de la collaboration. Certains enfants n’étant pas du tout en contact avec le soignant pouvaient l’intégrer dans un jeu où il fallait se tenir les mains pour pouvoir faire tenir en équilibre deux personnages sur un radeau.
Tous ces cas, sont autant d’exemples qui permettent d’interroger l’intérêt des jeux vidéo en tant que support utile à des fins thérapeutiques, ou pour réamorcer le dialogue avec l’adulte.
Comme l’on s’intéresse à son match de foot ou à son gala de danse, montrer de la bienveillance à l’égard de son loisir même virtuel est important pour la construction de l’enfant. Il est toujours intéressant de les questionner sur le choix de leur jeu (jeu de stratégie, jeu « défouloir », jeu cérébral…) ou sur le choix du personnage qu’il ou elle a choisi d’incarner (un mage surpuissant, un soigneur au service du peuple, un roi maître des décisions d’un clan…).
Bien que ce soit « leur » terrain de jeu, il n’y a pas de chasse gardée. Rien ne vous oblige d’obtenir un Bac +5 en Call of Duty ou Clash Royal ! Il est important en tant que parent d’amener une discussion autour d’un sujet que l’adolescent maîtrise, mais surtout pour lequel il pense que vous êtes totalement indifférent voire réfractaire. Cela permettra de vous faire découvrir un autre univers, bien souvent pour la plus grande satisfaction de votre enfant.