Tout le monde a considère le jeu vidéo comme un loisir qui peut être individuel, collectif ou familial. Ce que l’on sait moins, c’est que le jeu vidéo peut aussi devenir un support de compétitions… Dans ce cadre, des « cyber athlètes » s’opposent sur des jeux très variés et en font, pour certains, leur activité professionnelle principale.
Phénomène récent, les premières références aux pratiques professionnelles du jeu vidéo (on parle de « pro gaming » ou « esport » pour electronic sport pratiqué par des « pro gamers ») apparaissent dès le début des années 80. Entre 1981 et 1983, quelques joueurs américains de jeux d’arcade (comme le jeu Donkey Kong, notamment) commencent à jouer professionnellement et sont rémunérés pour leurs prestations alors diffusées ponctuellement à la télévision américaine.
Au-delà de quelques premiers exemples très anecdotiques, il faudra attendre la fin des années 90 pour assister aux premières compétitions internationales de jeu vidéo.
Une discipline qui s’organise
Dès 1997 aux États-Unis, la Cyberathlete Professional League (CPL) organise les premières compétitions de grande envergure avant de cesser ses activités quelques années plus tard. La même année, l’Electronic Sports League (ESL) est fondée en Allemagne pour organiser les compétitions opposant les joueurs européens. Quelques années plus tard, l’ESL revendique plus de 2,2 millions d’utilisateurs pour plus de 500 000 équipes qui s’affrontent dans des tournois nationaux et internationaux.
En 2000, la Corée du Sud (pays aujourd’hui référent en matière de sport électronique) inaugure les World Cyber Games (WCG), les présente comme les « Jeux Olympiques du jeu vidéo » et invite chaque année, les joueurs de plus de 70 pays à s’affronter en équipe ou en individuel dans différentes disciplines (du jeu d’action au jeu de sport en passant par le jeu de combat ou le jeu de tirs) afin de distinguer les meilleurs « cyber-athlètes » mondiaux. Parallèlement s’organise à partir de 2003 en France puis à l’étranger la Coupe du monde des jeux vidéo (l’Electronic Sports World Cup ou l’ESWC).
Dans le cadre de ces tournois officiels, très organisés et codifiés (avec un système de licence, des règlements appliqués par des arbitres, etc.), les joueurs rivalisent d’adresse et d’intelligence de jeu pour s’imposer. Et à ce titre, les « cybers athlètes » se revendiquent comme de véritables sportifs, qui se disputent les titres des différentes compétitions de sports électroniques.
Un « spectacle » en quête de notoriété
Pour autant, si les instances du sport électronique érigent le jeu vidéo au rang de sport à part entière, avec ses exploits individuels, ses champions, ses victoires et ses remises de prix, ces événements se veulent surtout un « spectacle » en quête de sponsors.
Le sport électronique fait ainsi régulièrement l’objet de matchs d’exhibition (ou « show matchs ») sans enjeux sportifs mais impressionnants pour le public. Les joueuses ne sont pas en reste, et les équipes féminines de sport électronique contribuent à la notoriété de la discipline suscitant ainsi un fort engouement de la part du public et des média.
C’est cette même logique qui, en 2004, a poussé le studio Ubisoft à créer l’équipe féminine des « Frag Dolls » (sans doute l’une des équipes d’esport les plus connues du grand public). Le studio français (pourtant très peu impliqué dans la sphère du sport électronique) a en effet recruté une poignée de joueuses présentées comme des « pro gameuses » participant régulièrement à des exhibitions lors d’événements médiatiques. Mais plus que des sportives, ces cinq joueuses ont surtout endossé le rôle d’ambassadrices du jeu vidéo et la « franchise » s’est déclinée aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne puis en France de 2005 à fin 2007. Derrière la façade du sport électronique, bien souvent, le jeu vidéo de compétition a vocation à promouvoir une industrie et à susciter l’intérêt des médias.
A l’image du catch, qui se veut un show spectaculaire, et là où la boxe apparaît plus comme un sport, le sport électronique entend lui aussi séduire le grand public et semble en quête de notoriété. Et on le comprend aisément : l’exposition médiatique des équipes détermine notamment leur capacité à séduire les sponsors qui financent le secteur.
Car au-delà de toutes considérations sportives ou médiatiques, le « pro gaming » s’accompagne aussi d’importants enjeux financiers.
Les enjeux financiers du « pro gaming »
Cette combinaison mêlant « exploit sportif » et « spectacle » participe de l’émergence du jeu professionnel. Comme dans d’autres disciplines, les tournois de jeux vidéo sont dotés de « cash prizes » (il s’agit bien souvent de matériel informatique, et dans une moindre mesure de dotations en argent). Et au même titre qu’un sportif monnaye son image auprès de marques célèbres à des fins publicitaires, les joueurs professionnels de jeux vidéo sont eux aussi sponsorisés (Intel ou Microsoft supportent par exemple des équipes de joueurs).
Et si longtemps, ces « cash prizes » visaient uniquement à défrayer les joueurs pour leurs déplacements et hébergements sur les lieux des compétitions, ils ont progressivement permis à certains joueurs de faire de leur pratique du jeu vidéo leur activité professionnelle principale et de rémunérer les coachs et les agents de leur équipe. C’est principalement le cas en Corée du sud, ou certains joueurs encore minoritaires peuvent vivre de cette activité (voir encadré).
En revanche en France les gains distribués en compétitions sont encore trop modestes pour en faire une activité professionnelle stable. En effet, la notoriété de l’esport reste encore trop marginale pour véritablement intéresser des sponsors susceptibles de salarier des joueurs.
L’exemple coréen
L’exemple de la Corée du Sud est particulièrement significatif en la matière. La Corée du Sud, véritable patrie du jeu vidéo en ligne et du sport électronique, compte plusieurs des meilleurs joueurs mondiaux dont les matchs sont retransmis sur les chaînes locales de télévisions spécialisées. Ces joueurs coréens, recrutés très jeunes (entre 15 et 17 ans), qui s’astreignent à plusieurs dizaines d’heures d’entraînement (entre 60 et 75 heures par semaine selon les niveaux), sont traditionnellement rémunérés par leurs équipes. Les quelques meilleurs joueurs mondiaux peuvent se partager jusqu’à 200 millions de wons par an (environ 135 000 euros) en dotations et sponsoring.
Si la somme paraît attractive, elle doit être pondérée. Pour le 100e joueur du classement coréen, cette rémunération n’atteint en moyenne que 10 millions de wons par an (environ 6 700 euros – un peu moins que le salaire moyen coréen). Les montants décroissent aussi vite que le classement. En effet, malgré l’engouement populaire pour le sport électronique, on estime que seuls 200 joueurs professionnels peuvent vivre régulièrement de leurs gains en compétions. Au-delà, notamment au sein des « équipes B » (les équipes de remplaçants), les joueurs ne sont pas payés et doivent se contenter « d’argent de poche ».
Si la compétition de jeu vidéo reste aujourd’hui une activité relativement marginale, on constate néanmoins que les modes « multijoueurs » proposés dans la majorité des jeux vidéo actuels servent d’arguments à la pratique du sport électronique. Mieux, les jeux compétitifs (les jeux de tirs, de stratégie, de courses, de sports, mais aussi les MOBA1, ces jeux hybrides mêlant action, stratégie et jeux d’équipes) se développent aussi vite que le jeu en ligne.
Peut-être faut-il voir là le véritable périmètre d’activité d’une pratique en perpétuel développement, qui cherche à attirer un public toujours plus diversifié.
Par ailleurs, sachez également que le sport électronique n’est pas l’apanage des joueurs professionnels ou semi-professionnels. Il peut tout à fait être pratiqué dans un cadre plus amateur et de loisir. Pour ce faire, de nombreuses structures se sont développées s’apparentant à des clubs de jeux vidéo qui permettront à votre enfant de participer à des compétitions sur ordinateur et console.
- 1. MOBA, pour « Multiplayer Online Battle Arena », ou jeu en ligne multijoueur de duel en arène (parmi les MOBA les plus célèbres, on compte Defense of the Ancients (DotA), League of Legends ou encore Heroes of Newerth.