La polémique fait rage sur certains forums de discussion, et l’on peut à juste titre s’étonner que l’addiction soit autant au devant de la scène lorsqu’il s’agit de jeux vidéo ou d’Internet.

La réalité de la clinique des addictions, fondée comme il se doit sur les demandes des personnes concernées, nous indique deux choses :

  • D’une part, il existe de réelles problématiques de type addictif, qui concernent les fameux « M.M.O.R.P.G », surtout chez des jeunes adultes.
  • D’autre part, la rareté relative de ces cas contraste fortement avec l’importance des demandes provenant de parents inquiets, comme des craintes exprimées par nombre de personnes plus ou moins concernées.

Ce déséquilibre entre craintes et réalité tient sans doute à la « fracture générationnelle » quant aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, et plus généralement à l’ambivalence de la société envers une forme de révolution culturelle.

Les jeux en réseau deviennent à la fois des boucs-émissaires, chargés de toutes les craintes, et des enjeux de conflits familiaux rêvés pour des adolescents en quête de révolte sans risque.

Sans participer à la dramatisation des débats, il faut rappeler que l’addiction, qu’il s’agisse d’alcool, de drogues, ou de jeu d’argent, est toujours un phénomène relativement rare, et que la clinique des addictions représente un abord extrêmement partiel de ces questions, mais qui peut s’avérer riche d’enseignements.

Les données cliniques confirment donc la possibilité d’une dépendance aux jeux d’aventure en univers persistant, mais il est évident que ces addictions sont extrêmement minoritaires, et constituent, même pour les cas les plus spectaculaires, des « pathologies » bien plus labiles que les toxicomanies ou le jeu pathologique des joueurs d’argent et de hasard.

 

 

Il est intéressant de noter que les suivis psychologiques cliniques de ces joueurs ne confirment guère les craintes souvent exprimées dans les fréquentes polémiques sur les jeux :

  • D’une part, les personnes suivies, pour le moment, n’ont jamais présenté de tendances à la violence, et sont même plutôt timides et introverties. Dans leur cas, il semble bien que le jeu remplisse parfaitement son rôle de catharsis, d’exutoire à l’agressivité. Au point que certains donnent l’impression de manquer d’un minimum d’agressivité, qui leur permettrait de faire face plus activement aux combats de l’existence.
  • D’autre part, on ne voit pas de cas de « dédoublement », ou de confusion entre l’univers du jeu et celui de la réalité : les joueurs, même excessifs, savent très bien qu’il ne s’agit que de jeu.

Ces éléments tendent à confirmer l’intérêt des jeux vidéo comme support de relation dans des thérapies avec des jeunes, puisqu’ils constituent un espace « transitionnel » et une possibilité d’expression de fantasmes ou de pulsions non agies.

La possibilité d’addiction ne doit pas être éludée, mais elle ne doit pas non plus être considérée comme un élément « à charge » dans les procès souvent faits à ces jeux. Toute activité humaine comporte en effet cette possibilité d’addiction.

Le profil des patients tend à confirmer l’idée que ces addictions sont essentiellement des refuges, et que la fonction principale du jeu, qui est d’aider à faire face à un monde aléatoire et injuste, est en quelque sorte parfois trop efficace. À la différence des toxicomanies, il n’y a pas en effet ici de prise de risque réelle, de mise en danger consciente, de dimension « ordalique ».

Une voie de recherche pourrait être un travail sur les mécanismes de l’addiction, qui permettrait peut-être d’éviter des dimensions inutilement  « chronophages » de certains jeux : par exemple la gratification proportionnelle au temps passé, indépendamment de l’intérêt ludique de ce temps. Une prévention rejoindrait ici une critique des jeux, au sens le plus noble et le plus culturel du terme.

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Par le Docteur Marc Valleur, psychiatre, médecin chef du Centre Médical Marmottan (Paris) – décembre 2008